• Jour numéro... J'ai perdu le fil. On va dire 5...

        C'est une catastrophe. J'ai été tellement occupé que j'ai oublié d'écrire mes lettres. Eric est un personnage étrange. Je devrais absolument faire un rapport sur lui. J'ai pris soin de noter tout ce qui me dérange, afin de peut-être réussir à m'en débarrasser. Première constatation, il ne m'aide pas du tout. Il n'a répertorié aucun des dossiers arrivés. Il passe tout son temps à bricoler ; je pense que c'est une sorte de génie. La station est envahie de petits appareils qui clignotent ; des mini-paraboles tournoient en émettant des bips irréguliers. C'est très dérangeant, surtout la nuit. Il fait souvent les cent pas en longeant les murs de chaque pièce, puis se retourne vers moi et me sourit. Le matin, il boit aussi tout le lait. Le ravitaillement est rare. Il s'est excusé et a dit qu'il ne le savait pas. Mais ensuite, il a recommencé. J'ai peur de devenir chauve ; je m'arrache souvent les cheveux. Il reste dans la douche des heures et des heures. Je ne pourrais pas tenir longtemps.


        Je me suis disputé avec Eric. J'ai donné un coup de pied dans l'une de ses machines. Elles m'empêchent de passer, impossible de se déplacer. Je savais que je ne tiendrais pas longtemps. Il n'a rien dit et ça m'a agacé. Je lui ai crié dessus, lui ai reproché de ne pas travailler du tout. Je suis allé me coucher. Quand je me suis levé, j'ai été étonné de voir qu'Eric était en train de classer les dossiers. Là, j'ai senti comme une pointe de jalousie ; il avait plus avancé que je ne l'avais jamais fait. Il était très rapide. Finalement, je vais faire un rapport sur lui. Peut-être qu'en le valorisant, il sera muté dans un meilleur endroit. Je retrouverai la paix.
        "Vous ne pouvez pas faire de rapport. Votre assistant n'a pas encore été envoyé, station 221..."
        J'ai ouvert de grands yeux. Je ne fais pas souvent ce genre d'expression, mais là, j'ai cru que j'allais avoir une crise cardiaque. Un pas derrière moi. Eric était là.
        - Qui es-tu réellement ? lui ai-je demandé.
        Il a fermé les yeux, ce qui lui a donné un air sérieux sur le visage.
        - Un extraterrestre...
        Cette fois, je suis tombé de ma chaise. Des théories ont fusé dans mon esprit ; un extraterrestre ! Il venait sûrement du vaisseau errant, alors c'était lui le responsable ! Il a ri.
        - Tu mens... ai-je bougonné.
        - C'est vrai...
        J'ai soufflé. Ce devait être un fugueur. C'était la seule explication. Soudain, le sol a tremblé. La station toute entière s'est mise à craquer, les murs se sont cabossés, des tuyaux ont cédé.
        - Mais Anthony, lui, a dit Eric au même moment, c'est vraiment un extraterrestre !
        J'ai suivi son regard. Il me montrait le radar. J'ai poussé un cri strident. Tu y crois ? Moi pousser un cri ? Tu ne le croirais pas. Là, dehors, posé sur le toit de la station, les caméras la filmaient : une pieuvre géante tenait en otage la station, l'enlaçant de ses énormes tentacules visqueux.


    votre commentaire
  • Un mauvais jour numéro 4...

        "Station 221, on envoie bientôt un assistant pour vous aider. Fin de communication."
        Je te laisse imaginer le choc. J'ai failli tomber à la renverse. Fini ma petite routine, ma tranquillité, mon bonheur... Il fallait qu'ils envoient quelqu'un ; cette station est trop petite pour y cohabiter. Il n'y a qu'une cabine de douche, des toilettes à l'intérieur, une chambre (il y a bien un lit superposé) et la salle principale où se situent les ordinateurs et les commandes. Est-ce que tu penses que je travaille trop lentement ? Ils auraient du me le signaler au lieu de me poignarder ainsi. J'ai pensé à verrouiller la station, cela me semblait une bonne idée. Puis, après un moment, je me suis demandé si l'assistant pourrait-être une femme ? Qu'elle chance ce serait ! Je verrais de mes propres yeux si elles sont comme décrites dans les poèmes. Ensuite, je me suis dit que ça serait un peu effrayant.
        Je tapais nerveusement sur mon clavier, quand j'ai entendu un bruit sourd. Je me suis retourné en sursaut et imagine ce que j'ai vu : un jeune gringalet, boutonneux, aux cheveux frisotants, qui me dévisageait avec un regard niais. J'ai été surpris de voir que l'assistant était déjà là ; après tout, avec la téléportation c'est rapide.
        - Tu es l'assistant ? lui ai-je demandé par politesse.
        - Hein ? Euh... Oui ! Je m'appelle Eric !
        Il m'a l'air d'un lent d'esprit ce garçon. Il est plus grand que moi. Je lui ai fait visiter la station, ça a pris moins de deux minutes, puis je lui ai présenté mon travail. Il a tout de suite imprimé le truc. J''hésitais. Je ne savais pas si je devais lui dire que sa venue me dérangeait, parce qu’il me semblait tellement enjoué. D'ici peu, il perdrait ce sourire béat.


        Eric a trouvé mes lettres. J'ai voulu les lui arracher, mais il lit vite. Il m'a demandé à qui elles étaient adressées. Il a ri et m'a pris pour un fou lorsque je lui ai dit que je n'écrivais pour personne en particulier. Mais c'est vrai... Il a eu l'air un peu triste, il voulait savoir ce que j'entendais dans la lettre du premier jour.
        - L'espace c'est fantastique ! Y vivre ce n'est pas banal !
        Tu trouves ? Je ne crois pas...
        - Mais si ! C'est l'inconnu ! On ne sait jamais ce qu'il peut se passer !
        L'inconnu ? L'homme a déjà tout vu dans cet univers.
        - L'homme ce n'est pas toi ? Toi, tu as tout à découvrir ! Et même si tu as vu, une étoile, une planète, une explosion, voir c'est à peine effleurer l'essence d'une chose ! Il y a tant à sentir, l'odeur de l'espace est particulière, elle est un peu comme l'air marin. Ferme les yeux et tu pourras la reconnaitre !
        Eric est quelqu'un d'enthousiaste. Mais si on respire l'air de l'espace, on suffoque non ?


    votre commentaire
  • Jour numéro 3...

        Souvent, je rêve des femmes. Pas une en particulier, mais celle que chantaient les poètes maudits. Intemporelle et idéale. Mais quand j'imagine à quoi elle peut bien ressembler, je vois la longue chevelure des comètes, la couleur brûlante du soleil, l'océan bleu de la Terre qui m'attend chaque matin à mon hublot. Je me demande si l'espace n'a pas altéré ma vision des femmes. Comment sont-elles ? Est-il vrai que leur souffle ravive l'âme, que leur main soigne les maux, que leur regard transperce la peau ? Je parie que ce ne sont que des histoires d'astronautes !
        Aujourd'hui, l'un de mes clignotants s'est alarmé. Il m'indiquait qu'un énorme objet s'approchait dangereusement de la station. J'ai été stupéfait de voir sur mes radars un immense vaisseau spatial à la dérive. Il semblait complètement délabré ; sa coque fendue et ses panneaux de protections arrachés. Il errait non loin de là. Normalement, la procédure veut que je le signale immédiatement. Pourtant ce jour là, sans raison particulière, j'ai appuyé sur un bouton différent. Il ouvrait une passerelle sécurisée en dehors de la station. Je l'ai connecté au vaisseau vagabond et je suis allé voir par moi même. Peut-être avais-je besoin d'aventure... Avec un peu de recul, c'était très irresponsable ; n'importe-quel maux avaient pu mettre le navire dans cet état (des pirates, un virus, des radiations gamma)...
        Un extraterrestre. C'est le seul mal qui aurait pu faire ça ! Les couloirs du vaisseau étaient recouverts d'une substance visqueuse, il n'y avait plus trace des passagers, les parois métalliques étaient comprimées... Quelle autre créature aurait pu causer ces dommages ? C'était un extraterrestre... Tu me prends pour un fou ? C'est vrai... Les extraterrestres n'existent pas. Il doit y avoir une autre cause. J'ai regardé les enregistrements de vol ; rien. Pas de défaillance technique, pas de champ d'astéroïdes, pas de rapport sur une quelconque attaque, atmosphère normale. C'était un simple vaisseau de recherche scientifique. Un extraterrestre... Je ne dirais pas que mon sang s'est glacé, mais j'ai préféré sortir du vaisseau à toute vitesse. J'ai fait un rapport en épargnant à l'IA mes doutes. Un extraterrestre... et puis quoi encore ?


    votre commentaire
  • Jour numéro 2...

        La station est dans une orbite stable, elle survole lentement la Terre comme à son habitude. Aucun voyant rouge n'est allumé. Tout va bien. C'est parti pour une nouvelle journée de travail. D'ailleurs, il semble que je n'ai pas détaillé ce que je fais ici. Rien d'extraordinaire ; je suis un archiviste. J'observe les données envoyées des sondes ou des vaisseaux, puis je les classe. Des éruptions solaires, des supernovæ, des pulsars, des astéroïdes... Tout ce qui se trouve dans la zone spatiale doit être répertorié. Cela permet d'avoir moins de problèmes de circulation en quelque sorte. C'est aussi un travail d'historien ! C'est ce que disaient mes employeurs... Mais c'est en réalité bien moins prestigieux.
        Ne t'en fais pas. Je ne me berçais d'aucune illusion en venant ici. Je savais qu'être enfermé dans une petite station spatiale n'allait pas être passionnant. Je fais mon boulot et c'est ce qui compte. Vois-tu, personne ne me dit ce que je dois faire, j'avance à mon rythme, je prends mon temps. C'est un plaisir que peu de gens connaissent. Je me lève, je bois un verre de lait, je tape sur mon clavier, je mange, je me couche. Dit comme de cette manière, ça ressemble au quotidien de beaucoup de personnes, qui elles ne sont pas dans l'espace. Quand je disais que cela ne méritait pas tant d'éloge, la vie dans les étoiles.
        En plus, les étoiles, je ne les aperçois même pas de mon hublot ; elles sont lointaines, comme lorsque je regardais la voute céleste de ma petite maison de campagne. Bien évidemment, sur mon moniteur, certaines images que je reçois des télescopes aux confins de l'univers me surprennent. Des explosions de couleurs et des bizarreries inexplicables ! Il m'arrive même de penser que j'aimerais voir ça de mes propres yeux, que les hommes qui se trouvent là-bas ont beaucoup de chance. Mais finalement, je me dis que ces bizarreries sont trop étranges pour être sans danger... Ces astronautes n'ont pas toute la vie devant eux. Je préfère ma petite station et sa douce fraîcheur de printemps. Enfin, sa douce fraîcheur... Quelque chose doit être en train d'agoniser dans mon réfrigérateur.


    votre commentaire
  • Le petit homme... 1

    LE PETIT HOMME DE LA STATION SPATIALE

        Jour numéro 1...

        On reçoit très peu de courrier dans l'espace. C'est pourquoi j'en écris souvent. Mes journées ne sont pas palpitantes. Je dirais même qu'elles sont d'un commun affligeant. J'ai entendu dire qu'autrefois on rêvait d'aller dans l'espace, avant l'avènement de la conquête spatiale. Est-ce toujours le cas ? Qu'y a-t-il de si attractif à cela, je te le demande ? C'est noir... Parfois, un caillou passe et manque d'arracher une partie de la station. Oh, ne t'inquiète pas ! Il me suffit d'enclencher les boucliers magnétiques. Ne te fais pas d'idée, ce n'est pas aussi spectaculaire ; j'appuie sur un petit bouton bleu qui ressemble à des dizaines d'autres et des panneaux se déploient. Je ne sais même pas comment ils fonctionnent, savoir ce genre de détails n'est pas important ici. Si ce n'est pas un caillou, c'est un débris... Des fois il en arrive de nulle-part, vestiges de vaisseau échoué ou encore d'un engin en perdition. C'est vrai, je peux concevoir qu'à une époque ce genre de vie pouvait paraitre attrayante ; après tout l'univers c'est l'inconnu. Maintenant c'est différent ; l'espace a rejoint la Terre, démystifié et dénaturé, il n'y a plus rien qui lui appartienne.
        Depuis combien de temps suis-je là ? Des années sûrement... J'ai arrêté de compter. Je pourrais le demander à la personne qui me contacte de temps en temps pour savoir comment je vais, si je suis toujours bien vivant, mais j'oublie à chaque fois. Le ton monocorde de mon interlocutrice me rend nerveux et j'ai à peine le temps de répondre qu'elle coupe les communications. Je me demande parfois si elle n'a pas été remplacée par un robot, une intelligence artificielle, c'est courant qu'on leur confie ces tâches de nos jours. Les IA sont concises et ne perdent pas de temps, cela permet des appels brefs et une facture moins coûteuse. Finalement, j'ai décidé de commencer mes lettres au jour numéro un, après tout, savoir depuis combien de temps je me trouve dans cette station spatiale n'a pas tellement d'importance.


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique